Un gant, des abeilles et Roger

Mr. Holmes (2015), Bill Condon (dir)

Nous sommes à la fin des années 1940 ou début des années 50, après la seconde guerre mondiale, après Hiroshima, et Sherlock Holmes est retourné vivre dans son cottage de la campagne anglaise. Holmes est un vieux monsieur. Il s’occupe de ruches et déplore sa mémoire défaillante. Son médecin lui donne un agenda dans lequel il doit faire une marque chaque fois qu’un mot, un nom, un souvenir lui échappent sur la page du jour où cela lui arrive. Holmes est de retour d’un voyage au Japon où il est parti recueillir une plante censée améliorer la mémoire. Une plante qui semble pousser uniquement sur une terre dévastée, en l’occurrence dans les cendres de la ville d’Hiroshima. Il demande à sa gouvernante de cuisiner en utilisant l’huile qu’il extirpe de la plante. Il développe dans le même temps une relation d’affection, d’amitié et de transmission avec le jeune fils de la gouvernante, Roger. Holmes est obsédé par ses pertes de mémoire alors qu’il souhaite réécrire le déroulement de sa dernière enquête afin de modifier la version réalisée par son acolyte Watson (mort deux ans auparavant semble-t-il) Cependant il ne se souvient plus de ce qui s’est réellement passé, d’où sa volonté d’utiliser la plante dite miraculeuse.

Ses pertes de mémoire commencèrent à la fin de cette enquête, lorsqu’il prit conscience pour la première fois de son extrême solitude à l’enterrement d’Ann, la femme de son dernier client qui l’avait sollicité à son sujet. Elle-même était une grande solitaire depuis que ses deux enfants « non nés », étaient morts en fausse couche et elle vit en Holmes (qu’elle savait avoir été employé par son mari) quelqu’un pouvant non seulement comprendre son extrême solitude mais également le fait qu’elle puisse dialoguer avec ses enfants morts « qui sont juste de l’autre côté du mur », comme tous les morts. Holmes la comprend, tout comme il a compris qu’elle ne souhaitait pas tuer son mari mais agissait de la sorte pour l’atteindre lui, lui parler et se faire comprendre de lui (la place que prend Holmes n’est pas sans rappeler celle du psychanalyste entraîné par son patient dans un labyrinthe fictionnel tortueux pour s’assurer s’il peut vraiment l’aider, l’écouter et l’accompagner dans la réalité historique toujours présente de son expérience traumatique afin de pouvoir (commencer à) vivre au présent). Lorsque tous deux se rendent compte de leur compréhension mutuelle devant la solitude, elle lui propose de partager cette solitude à deux. Très bel instant où l’imaginaire du couple fusionnel explose devant la réalité du lien de compréhension mutuelle qui pourrait unir deux êtres éternellement seuls. Holmes hésite puis lui suggère de rentrer chez elle, vers son mari qui l’aime. Elle le remercie de sa compréhension et part, laissant Holmes avec l’un de ses gants. Elle se suicide quelques heures plus tard en se jetant sous un train.

Holmes commence dès lors à perdre la mémoire, ou plutôt à vivre dans le désespoir d’avoir refusé la proposition d’Ann, et d’avoir simplement résolu une affaire de plus, se contentant du plaisir intellectuel d’une telle résolution sans se soucier du plaisir émotionnel de partager un lien avec une personne ou du plaisir d’imaginer que la vie pourrait être autre qu’une énigme à résoudre, puisque in fine la résolution ultime est la mort qui reste à la fois à jamais énigmatique, insondable et dans le même temps parfaitement claire, inévitable. Holmes ne perd pas la mémoire parce qu’il est vieux, malade, sénile, mais parce qu’il est seul, désespéré et qu’il abandonne ce qui l’a toujours animé. Il vit dans le même temps une sorte de réconciliation avec une partie de lui-même enfouie depuis longtemps à travers sa relation avec Roger, le jeune enfant à qui il apprend l’art de l’apiculture et à qui il fait lire sa tentative d’écriture de sa dernière enquête lorsque ses souvenirs le lui permettent ; 5 années après la mort d’Ann durant lesquelles Holmes ne va entretenir aucune véritable relation avec le monde extérieur hormis sa recherche d’une plante miraculeuse pour « soigner » sa mémoire. Holmes est contacté par un homme japonais, Umizagi, qui l’invite après quelques mois à venir au Japon pour rechercher cette plante. L’homme en question se présente comme un admirateur de longue date de Holmes tel que Watson le dépeint dans ses livres. Il lui présente sa mère qui demande à Holmes ce qu’il a fait de son chapeau typique et de sa pipe. Holmes révèle qu’il n’a jamais porté un tel chapeau et qu’il préfère le cigare, ajoutant qu’il n’a pas d’imagination mais privilégie les faits au contraire de Watson. Umizagi accompagne Holmes à Hiroshima où la plante est réputée pousser. Dans un paysage dévasté par la bombe atomique, Umizagi trouve une pousse de la plante et la déterre pour la donner à Holmes. Au loin le dôme décharné du musée des Sciences vers lequel se tourne Holmes ressemble à un crâne vidé de toute pensée, de toute chair, de toute mémoire. La plante de son côté symbolise la vie là où la mort est devenue permanence ; Sous les cendres, la vie peut renaître, ou plutôt la vie ne disparaît pas. Si la plante ne redonne pas à Holmes sa mémoire, elle agit à la fois comme un objet-écran et un objet-révélateur (rejoignant en quelque sorte l’objet transitionnel de Winnicott) : un objet-écran car Holmes voit en cette plante son dernier recours et ne prête attention à rien d’autre. Il est obsédé, aveuglé par la plante ; un objet-révélateur car une fois le constat de son inutilité médicale pour la mémoire, elle laisse la place à un paysage intérieur dévasté et aux raisons de cette dévastation.

Là encore le jeune Roger joue un rôle essentiel puisque c’est lui qui permet à Holmes, alité après avoir chuté et perdu conscience, non seulement de voir sans son attirail de détective (loupe) mais qui lui procure le véritable objet-écran/objet-révélateur de la relation bloquée de Holmes à sa propre mémoire dont la plante n’est qu’un substitut. Un gant. Le gant d’Ann, que Watson a récupéré auprès de Holmes à Baker Street alors que ce dernier était plongé dans les affres de l’héroïne, de la douleur, du regret et après que ce dernier avait raconté en détail à son « fidèle » serviteur l’histoire de cette femme. Watson écrivit une version infidèle, cachant en quelque sorte la véritable enquête sous un flot de romance, et cachera également le gant dans un tiroir de son armoire ; armoire dans laquelle le jeune Roger va fouiller pour trouver la loupe de holmes et y trouver le gant.

Si Holmes a perdu la mémoire, ce dont il est certain, il n’a cependant pas perdu sa capacité à enquêter et à dénouer les fils du réel. Watson et Roger en sont tous deux convaincus. Watson, consciemment ou non, donne par anticipation à Holmes les moyens de recouvrer non pas la mémoire mais la raison ; la raison pour laquelle il a cherché à effacer les traces de la douleur, ses origines, le moment de révélation, la mort d’Ann et sa propre culpabilité. En écrivant un récit dont la logique échappe à Holmes, il donne à ce dernier le désir de recouvrer la véritable histoire. La contre-histoire de Watson permettra à l’esprit de déduction de Holmes, que ce dernier cherche à faire disparaître, à ne plus utiliser, se coupant dès lors d’une partie de lui-même et de la composante essentielle de son expérience au monde, de resurgir et de faire ce pour quoi Holmes est célèbre, cette fois-ci dans le but de déterrer les raisons de sa perte de mémoire en trouvant les raisons de sa décision de ne plus enquêter après cette dernière investigation désastreusement réussie. En renouant avec une partie de lui qui est fondamentale, Holmes peut recouvrer les éléments obstrués, enfouis, volontairement enterrés. Roger est également convaincu qu’Holmes est toujours le fameux détective qu’il a toujours été, dans la réalité et dans la fiction, et lui impose un défi cruel aux dépens de sa propre mère. Il exige de Holmes de déduire de la manière dont sa mère est coiffée et habillée ce qu’elle a fait auparavant et l’endroit où elle est allée. Après quelques secondes d’hésitation, de la part de Holmes et de la gouvernante, les deux adultes cèdent au caprice de l’enfant. La mère de Roger représente dès lors une porte et une ombre. L’ombre est celle de la dernière enquête de Holmes lorsqu’il était encore détective, soit l’enquête sur Ann. La porte est celle ouverte vers sa propre histoire, son propre passé et sa force de déduction souvent dénuée d’émotion, de plaisir, d’attention, composée de pur plaisir intellectuel qui peut se révéler dévastateur pour autrui, l’enquêté. Holmes déduit des vêtements de sa gouvernante qu’elle s’est rendue à Portsmouth pour signer un contrat de travail avec sa sœur qui est tenancière d’un hôtel. La révélation engendre la colère de Roger qui insulte sa mère. Holmes pousse l’enfant à présenter ses excuses à sa mère pour ne pas avoir à le regretter par la suite. Ce que fait Roger. Et Holmes d’avouer que lui n’a pas su dire les choses, s’excuser, revenir sur ses propos en de nombreuses occasions et le regrette. Il nourrit de nombreux regrets en réalité. Tous les éléments sont alors réunis pour permettre à Holmes non pas de recouvrer la mémoire, mais de réinscrire dans son histoire les raisons, les causes, l’origine de sa douleur, de son regret ultime, de son abandon d’une partie de lui-même, morte pour ainsi dire avec Ann.

Mais ces éléments nécessitent un symbolum, un composant spatio-temporel universel permettant leur réunion en tant que marque du continuum historique. Et ce sont les abeilles qui vont jouer ce rôle. Dans l’apprentissage que fait Roger du métier d’apiculteur, se joue une transmission qui va bien au-delà des techniques d’enfumage des ruches ou de compréhension des raisons pour lesquelles les abeilles meurent massivement.
Ce que Holmes transmet à Roger, Roger le lui redonne, le lui renvoie dans une forme de miroir historique et empirique. Holmes n’a d’autre choix que de se tourner vers le passé par la présence réflexive de Roger, la présence de Roger en tant que témoin et acteur d’un ordre de temps non discontinu auquel appartient également Holmes, même s’il chercha à s’en détacher. Roger possède un esprit de déduction aiguisé et Holmes s’amuse à lui poser quelques énigmes que l’enfant tente de résoudre. Roger entre à deux reprises « avec effraction » dans la vie de Holmes pour enquêter ; une première fois tandis que Holmes est au Japon, et Roger s’introduit dans son bureau, y lit les premières pages que consacra Holmes au récit de sa dernière enquête ; une seconde fois pour y récupérer la loupe de Holmes afin d’examiner les corps d’abeilles et analyser les causes de leur mort, ce qui lui permet de trouver le gant camouflé par Watson dans un tiroir dérobé. Ces deux moments sont essentiels. Le premier car il confronte Holmes à la question de l’adresse de son écriture [et l’adresse de son œuvre en tant que réalité empirique à transmettre par lui-même et non en tant que fiction écrite par un autre quelle que soit la fidélité à la réalité de cette fiction], et Holmes propose à Roger de devenir son lecteur-témoin à mesure que ses souvenirs remontent à la surface de sa mémoire et qu’il peut les écrire. Le second car il fait de Roger le témoin, le sujet vivant et le produit de l’espace-temps comme continuité ; un héritier, à la fois de son talent de déduction et de logique, mais également celui par qui la fin peut redevenir ou devenir un début et retrouver son sens historique, sa propre logique interne. Le gant est révèlateur en tant qu’objet (odeur, rappel à la mémoire de l’instant traversé par holmes de la perte du gant…) et en tant que non-objet ou objet caché (par Watson après l’écriture de sa fiction, et « caché » également par Holmes pour ne pas avoir à se souvenir des raisons de sa douleur et de son choix de solitude). Le gant révèle des lieux, des relations à ces lieux et aux instants constituant de ces relations auxquels Holmes a participé et desquels il chercha à se séparer, à s’extraire en extrayant sa propre mémoire de son présent ; une séparation actée et symbolisée par le camouflage effectif du gant par Watson. La fiction rejoint la réalité. Le récit de Watson fait lien avec l’absence du récit du réel de Holmes, et à l’intersection des deux, se tiennent un gant et un non-gant (onguent), ainsi que Roger et les abeilles. Ce triptyque entre en résonnance avec les histoires que le père de Roger lui contait lorsqu’il était enfant et que Roger a oubliées. Roger demande alors à sa mère si elle s’en souvient. Elle répond qu’elle n’a jamais été douée pour raconter des histoires (là encore le lien avec Holmes, Ann et la solitude partagée est flagrant). Mais elle se souvient que le père de Roger lui demandait toujours de choisir trois objets à partir desquels composer son récit, sa fable, et Roger nommait trois objets dont il faisait toujours partie. Ce Roger « fictionnel » est essentiel pour le Roger de chair et de sang, puisqu’il peut dès lors se projeter hors de lui-même et devenir en quelque sorte à la fois Holmes et Watson, c’est-à-dire celui qui imagine et celui qui s’en tient aux faits. Holmes finira par se souvenir de la suite de l’enquête, après que le gant a été retrouvé, après que ses regrets ont été transmis à Roger et que ce dernier s’excuse auprès de sa mère, après que Holmes a reçu une lettre annonçant une autre mort, celle de la mère d’Imazugi, faisant apparaître non seulement son propre isolement, mais celui de la femme du père d’Imazugi. Imazugi avait en réalité attiré Holmes au Japon pour connaître les raisons de la disparition de son père en Angleterre, la dernière lettre de ce dernier à l’attention de sa famille indiquait qu’il avait rencontré Holmes et qu’il allait sans doute rester en Angleterre pour une longue période. Holmes nie connaître cet homme lorsque Imazugi le lui demande et nous ne savons pas alors s’il l’a jamais rencontré ou s’il a oublié cette rencontre. Lorsque Holmes aura recouvré l’ensemble de l’histoire, de son histoire, de son rôle dans la mort d’Ann, de l’amour désormais impossible ou plutôt de l’impossibilité désormais de partager une double solitude, il répond à Imazugi et nous comprenons qu’il n’a jamais rencontré son père. Nous le comprenons tandis qu’Holmes lui écrit exactement le contraire. Il invente une histoire, imagine une trame, disant avoir recouvré la mémoire de sa rencontre avec l’homme, et se souvenant désormais pourquoi il avait souhaité rester en Angleterre. Il écrit une fiction pour permettre à Imazugi de trouver sa place dans l’histoire de son père, dans l’histoire, d’inscrire un fragment manquant, de combler un vide empirique par un récit. Et Holmes d’accepter que la résolution intellectuelle d’énigmes ne soit pas la résolution des sentiments ou puisse même aller à l’encontre du bien-être de ceux censés bénéficier de la résolution de l’énigme. Invoquant sa perte de mémoire et sa soudaine remémoration, il lie l’espace du vécu et l’espace de l’imaginé, ces deux espaces-temps n’étant possibles que dans un continuum historique constitué de symbolums, d’objets relationnels, de figures du passage, de seuils, de transmission et de réception ou plutôt de contre-transmission. Un gant, les abeilles et Roger.

Un gant comme objet-écran / objet-révélateur, vide de mémoire en soi mais dont l’absence (l’enfouissement) et la présence (désenfouissement) permettent de couvrir ou de rétablir un lien avec un vécu antérieur.
Les abeilles comme figure de la permanence dans l’impermanence, comme symbole de l’espace-temps hors de l’espace-temps de l’expérience humaine, figure de ce qui reste lorsque les humains s’en vont, meurent, naissent. Plusieurs passages dans le film évoquent cette permanente impermanence. Roger demande à Holmes ce que deviendront les abeilles lorsque Holmes mourra, ce à quoi le détective répond qu’il ne sait pas. Le temps des hommes croise le temps des abeilles. Les hommes les apprivoisent et les abeilles acceptent la présence des hommes. Mais lorsqu’un homme meurt, et qu’il ne peut transmettre à quiconque le savoir-faire de l’apiculteur qu’il était, le lien entre hommes et abeilles est rompu et nul ne sait ce qu’il adviendra d’elles. Elles seront sans doute là, comme elles l’étaient avant l’homme et le seront encore après lui, si toutefois elles ne sont pas toutes exterminées par l’être humain. Si les abeilles peuvent vivre sans l’être humain, l’inverse n’est pas vrai. En second lieu, Holmes reçoit un cadeau d’Imazugi avant de repartir du Japon. Il s’agit de deux abeilles japonaises conservées dans une pierre transparente, une sorte d’ambre translucide et grossissant. Holmes en fera cadeau à Roger. Et lorsque Roger sera piqué quasi mortellement par les abeilles, selon toute vraisemblance, Holmes affecté par la douleur et la tristesse, entrera dans le lieu sacré de la chambre de Roger, inversant l’effraction commise plus tôt par le jeune homme, et le fera non pour trouver un indice, une explication à ce qui s’est passé, mais par amour pour le jeune enfant et par désespoir devant sa probable mort. Cependant le lien émotionnel développé par le jeune homme n’empêche pas l’esprit de déduction de Holmes de fonctionner, d’opérer [Intellect et émotion, faits et imagination se rejoignent alors dans un espace-temps non anticipé par Holmes, révélant à lui-même et au spectateur sa transformation, et sa continuité dans la différence] et Holmes s’aperçoit en regardant le cadeau fait à Roger quelque temps plus tôt que les abeilles ne peuvent avoir « commis le crime », car le dard présent sur l’une des abeilles éternellement conservée dans la pierre, était absent des piqures reçus par Roger, alors que les abeilles perdent leur dard en piquant. L’abeille éternelle révèle à Holmes l’évidence de l’innocence de l’abeille du présent. Et il parviendra à remonter le fil de l’intrigue en comprenant que Roger a trouvé la cause de la mort abondante parmi les abeilles, soit un essaim de guêpes à proximité qu’il a tenté de noyer et qui l’ont piqué. Le troisième passage est celui où Holmes ôte le gant de la main d’Ann pour lui lire son avenir ; une abeille attirée par l’odeur du parfum d’Ann s’y pose, et demeure sur le gant tandis que la main en sort. Après le départ d’Ann, l’abeille oubliée sur le gant est retrouvée morte par Holmes, victime du poison qu’Ann destinait fictivement (elle n’avait pas l’intention de tuer son mari) et fictionnellement (elle avait l’intention de toucher holmes en faisant croire à l’assassinat de son mari) à son mari. Ce qui meurt dans cette abeille c’est le caractère éphémère de la rencontre et son impossible continuité partagée après le refus de Holmes de vivre avec Ann. L’abeille meurt, le gant reste, Ann s’en va, Holmes reste. Mais ce qui meurt en Holmes en cet instant précis et qui prendra 5 années à se matérialiser c’est son refus de la solitude et le rejet intellectuel de ce refus dans le rejet de son esprit de déduction, de l’utilisation de cet esprit de déduction pour enquêter, et l’isolement volontaire dans sa maison de campagne. Lorsque Holmes redonnera pleinement sa place à son esprit de déduction, lorsque Holmes acceptera de nouveau de l’employer, il le fera non pour résoudre une énigme intellectuellement, mais pour créer un lien, un lieu de passage, un seuil, un symbolum grâce auquel la solitude de son être accompagnera ou sera accompagnée de la solitude d’autres humains. Et les sentiments, émotions, l’imagination feront désormais partie de ce monde du silence fracassant de la solitude de tout être qui cherche dans la fiction de ses relations au monde à ne pas être éternellement préservé dans la pierre.

Enfin, Roger comme figure de l’espace-temps de l’expérience humaine et de la tension entre la vie et la mort, entre les vivants et les morts. Il survivra aux piqûres de guêpes. Dès lors, les solitudes d’êtres appartenant à trois générations successives pourront se lier, renouer avec le continuum de l’espace-temps dont ils sont le symbole éphémère pour composer leur expérience singulière, et transmettre à la fois cette éternelle tension entre la vie et la mort et la singularité de leur passage.

La dernière image du film donne à voir Holmes matérialiser les fragments d’ambre corporelle et psychique dans lesquels il avait enfermé son frère, Watson, Ann et quelques autres personnes après leur mort, après sa tristesse de les voir ainsi mourir sans rien pouvoir faire. En faisant de ces morts enfouis en lui de véritables pierres tombales (ce qu’il avait vu une personne en deuil faire sur les ruines d’Hiroshima), des objets extérieurs, il peut enfin continuer à se souvenir d’eux sans être recouvert par leur mémoire absolue ou leur oubli permanent ; sans être enterré vivant entre leur absence et l’absence de leur absence.

 

 

 

 

 

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